Commission du français langue maternelle

Écrire, une belle comédie… par Viviane Youx

Florilège international des écrivains en herbe francophones - Comédie du Livre de Montpellier 2013

 

Écrire, une belle comédie…

 

La Comédie du livre[1] de Montpellier proposait du 7 au 9 juin, pour sa 28ème édition une programmation jeunesse, l'Académie du Livre, dans laquelle prenait place le Colloque Le Florilège international des écrivains en herbe francophonesFlorilège qui après avoir été académique, puis national, est devenu international notamment grâce à un partenariat signé avec la FIPF[2] en 2012. L'édition 2013, en mettant à l'honneur les littératures du Maghreb, et notamment l'Algérie comme invité d'honneur, donnait une réalité et des résonances particulières aux questionnements sur une francophonie vivante, multiple et diverse. En soirée d'ouverture, le 6 juin, Boualem SANSAL revenait sur un parcours qui, de son métier d'ingénieur l'avait conduit, après avoir été le relecteur critique de son ami et collègue Rachid MIMOUNI, à choisir l'écriture pour décrire les souffrances et violences de son pays, l'Algérie, qu'il n'a jamais quitté. Et lors de la cérémonie duPalmarès officiel du Prix Florilège 2013 des poètes en herbe, où l'AFEF[3] et la FIPF étaient citées et représentées, Yasmina KHADRA, parrain du Florilège 2013, insistait auprès des jeunes de l'assistance sur la réalité d'une écriture incluse dans la vie quotidienne, dans les interstices ouverts par un métier contraint, loin de cette illusion d'un écrivain vivant sur une autre planète, hors des contingences matérielles.

 

 

Le Florilège international des écrivains en herbe francophonesun partenariat actif

La FIPF et l'AFEF ont tenu à marquer de leur présence un évènement qui, non seulement met la littérature et la lecture à l'honneur, mais permet, par l'écriture, à des jeunes de se construire et de se faire reconnaitre grâce à une publication valorisante. C'est bien là un des objectifs fixés par Frédéric MIQUEL qui porte depuis quatre ans, au sein de la DAAC[4] de Montpellier, ce projet du Florilège. L'intérêt de cette opération a été souligné par le nouveau président de Cœur de livres, Serge BOURJEA, responsable de la programmation de la Comédie, acquis au déploiement d'une francophonie vivante, aussi bien qu'à celui d'une synergie entre laComédie du Livre et l'Académie du Livre. Je disais, lors de mon intervention au nom de l'AFEF et de la FIPF, mon émotion, alors que je traversais le parc, d'avoir été interceptée, accostée, par des groupes de jeunes, qui me haranguaient, perchés sur des murets, ou me cernaient pour me faire partager à deux voix des poèmes d'autres jeunes de France ou du monde. L'interculturalité prenait corps par une mixité des origines sociales, culturelles et géographiques qui se réalise dans et par la langue. Avec cependant un bémol pour la mixité de genre, les filles étant bien plus nombreuses que les garçons à se consacrer à l'écriture et à la lecture ; l'école devra certainement chercher comment aider les garçons à s'y intéresser et les filles à s'y affirmer, la proportion entre hommes et femmes parmi les auteurs reconnus n'étant pas exactement la même, loin s'en faut !

 

 

Écrire, entre transmission et création, séminaire sur les ateliers d'écriture

Une des portes que  la Comédie du Livre 2013 ouvrait sur l'écriture était celle d'un séminaire : "Écrire, entre transmission et création"[5] qui questionnait les pratiques d'atelier d'écriture. Un cri du cœur, sur le chemin du Salon du Belvédère où il se déroulait, d'un homme qui montait péniblement les nombreuses marches, m'a paru emblématique du sujet : "Pour écrire, faut avoir de bonnes jambes !" Cette phrase inscrivait, métaphoriquement mais avec justesse, l'écriture dans un travail qui, à l'instar de la course à pied, demande de l'endurance, du souffle et des temps d'accélération ! Lors d'une première table ronde, Jean-Paul MICHALLET[6] interrogeait plusieurs animatrices sur leurs expériences "d'ateliers ratés" qu'elles situaient toutes dans un contexte scolaire ou parascolaire : l'animateur, placé dans une situation de commande et de contrainte, se pose alors des questions différentes de celles qu'il rencontre avec des publics volontaires, inscrits autour d'un projet créatif. Hormis les problèmes structurels d'une institution qui passe commande sans donner les conditions du travail, les témoignages ont surtout porté sur des situations où l'on apportait aux élèves un projet auquel ils n'adhéraient pas ("Les contes, c'est pour les bébés !") ou qui les mettait en difficulté ("On vous a lu des histoires quand vous étiez petits ?"). Pour cette intervenante, le "chahut" s'est calmé quand, face au fiasco de son animation, les élèves ont proposé de "jouer au pendu", premiers pas timides qui ont restauré le collectif, le silence, quelques mots posés qui ont "fait des histoires". "Je n'avais aucune idée de ce qu'il y avait dans l'imaginaire de ces enfants-là", reconnaissait l'animatrice. Le séminaire pointait le danger que représente, en milieu scolaire, une animation vécue sur un mode angélique, un angélisme qui se reflète dans le déni du ratage. La question du public contraint est bien une de celles qui se posent à l'école, où le public, toujours contraint, peut adhérer au projet ou au moins y consentir, mais peut aussi se faire résistant s'il se sent captif. L'atelier, à l'intérieur d'une structure institutionnelle, s'inscrit dans une relation de pouvoir qui doit être réfléchie en interrogeant la place de l'écriture dans les mécanismes de pouvoir de l'établissement : comment peut-on y faire valoir une conception d'une écriture libre et créative si elle est perçue par les élèves surtout comme un moyen de coercition ("mots" dans le carnet de correspondance, rappels à l'ordre, devoirs notés…). Des contraintes administratives existent, certes, mais les expériences les plus réussies qui ont été relatées impliquent un partenariat avec le professeur de français, notamment celles l'incluant comme participant au début de l'atelier, la manière dont l'enseignant vit ce changement de posture se révélant souvent significative.

 

Une autre table ronde prenait en compte la dimension FLS[7] avec la communication de Nathalie MATHEU (doctorante DIPRALANG) : "Apprenants migrants : sur la voie d'une écriture en langue française". Elle partait de l'hypothèse que dans une situation d'insécurité linguistique, renforcée par une langue française fortement normée et des attitudes stigmatisantes, l'atelier d'écriture peut être un moyen de manipulation de la langue  qui change chez les apprenants scripteurs, à la fois leurs représentations de la langue et leur rapport à l'écriture. Après avoir situé le modèle sur lequel elle a travaillé : un atelier qui part d'une proposition d'écriture apportée par l'animateur, suivi d'un temps d'écriture par les participants, puis d'un temps de lecture oralisée où chaque participant fait partager aux autres son texte, elle soulignait quelques éléments de conclusion favorables :

-                   la "proposition" joue une fonction d'étayage : point de départ et de support, oralisée par l'animateur, elle permet aux participants de passer de l'oral à l'écrit, et cette explicitation oralisée joue le rôle du soliloque nécessaire pour écrire ;

-                   la socialisation des écrits avec le retour à l'oral par la lecture-partage hors d'une position d'évaluation ;

-                   une démarche d'écriture ancrée dans l'interculturalité qui permet de faire émerger des histoires migratoires singulières, et de s'en extraire : l'entredeux des langues et des cultures n'est plus seulement un espace de souffrance mais un espace de création.

 

Écrire, réécrire, "quelque chose à faire avec le silence"…

Le séminaire (dont ce compte-rendu partiel retiendra essentiellement les aspects concernant l'école) se concluait sur une intervention de Jeanne BENAMEUR : "Quelque chose à faire avec le silence", éloge marqué du travail et "re-travail" de la réécriture. Si son ancienne carrière d'enseignante a pris une orientation différente à partir de sa découverte, avec Elisabeth BING[8], que l'on pouvait travailler autrement, et que les élèves pouvaient retrouver de la curiosité et redonner à ce qu'ils écrivaient du gout et du sens, Jeanne BENAMEUR dit avoir connu ensuite une évolution personnelle qui a modifié progressivement sa conception des ateliers d'écriture qu'elle mène. Entre le moment où l'on est le scripteur et celui où l'on devient auteur, il s'écoule du temps ; avant de devenir auteur, de signer, d'avoir envie de partager,  c'est le temps du re-travail  qui est permis par une instance où on ne lit pas son texte à voix haute, chacun relit seul. Comme animatrice, elle accompagne la relecture par la mise en place de questions d'écriture relativement simples (sur la genèse, le comment…) ; chacun repart seul avec son texte. Trop souvent pris dans l'idéal du texte, on doit revenir à quelque chose de plus humble, accepter que ce que l'on a écrit ne soit ni nul, ni sacrosaint ; le texte est un chantier qui doit garder de la place pour le désir, le manque. Se relire, c'est d'abord constater comment l'on écrit sans se demander combien ça vaut, être curieux de sa propre écriture, voir combien nos écritures sont différentes. C'est le silence qui l'intéresse, alors que la publication à voix haute du texte suppose qu'il est terminé et ne laisse pas place au re-travail. Son accompagnement ouvre quelque chose pour que tout n'ait pas lieu dans l'atelier, il laisse du manque afin que chacun reparte avec l'envie de retourner y voir. Le partage viendra plus tard, quand le texte ne sera plus unique, quand il aura été tapé et dupliqué. Lire à voix haute ce que l'on a écrit est une affaire scolaire, ne pas lire lève les inquiétudes. Si le cadre scolaire répond à une intention sociale, faire que tous les élèves puissent s'approprier la langue, l'intention de l'animateur doit être surtout d'éviter d'en avoir une ; on ne  peut pas créer le désir d'aller vers la langue, on ne peut que créer l'infrastructure qui le permettra, les mots ont "quelque chose à faire avec le silence".

 

Le pouvoir de soi et sur soi par l'écriture

Cette Comédie du Livre 2013 n'aura donc pas été seulement le temps des lectures ("siestes littéraires" rendues impossibles par les trombes d'eau qui se sont abattues sur la ville), ni des débats (fort nombreux et animés vu l'actualité des pays à l'honneur), mais bien aussi celui de l'écriture comme processus, dans sa matière vivante, et c'est ce que nous ont fait toucher de près de nombreux écrivains, notamment Mathias ENARD et plusieurs auteurs qu'il avait pu inviter grâce à sa Carte blanche. Cette question de l'écriture interroge le pouvoir de soi et sur soi par la langue, dont l'AFEF et la FIPF ont choisi de se saisir pour que les mots et la langue française soient un instrument d'émancipation.

 

Viviane Youx

[1] La Comédie du Livre 2013 : la fête de la littérature et du livre à Montpellier

[2]Fédération internationale des professeurs de français

[3]Association française des enseignants de français

[4]Délégation académique à l'action culturelle, Académie de Montpellier

[5]Proposé dans le cadre du D. U. A. E. E. (diplôme universitaire d'animateur d'ateliers d'écriture) de l'Université Paul-Valéry Montpellier 3

[6]Jean-Paul MICHALLET, L'Atelier d'écriture, voies et détours / Un livre-outil, Lucie éditions, Nîmes 2012

[7]FLS = français langue seconde

[8] Elisabeth BING, …et je nageai jusqu'à la page (vers un atelier d'écriture),éd. Des femmes Antoinette Fouque 1976. L'auteure a formalisé progressivement dans ses ateliers le modèle décrit plus haut : Une proposition apportée par l'animateur, un temps d'écriture personnelle, un temps de lecture à voix haute, un temps de réécriture après ce partage.